PUBBLICAZIONI
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“Filosofia di una performance”,Saggio di Raffaele ScolariTesto bilingue, Italiano / Francese 124 pagine + DVD – performance 30.09.11 CHRETIEN – BETTINI – Firenze. Ed. Mimesis & ELR Ordinare online su Mimesis Edizioni |
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Le livre de Raffaele Scolari se présente, dans ses dernières lignes, comme « le journal de bord philosophique de la rencontre avec Anthony Chrétien et de la réflexion qui en est issue » ; « è una sorta de diario filosofico dell’incontro con Anthony Chrétien e della riflessione che ne è scaturita ». Ce journal, vous pouvez le tenir, l’ouvrir, et même l’ouvrir dans tous les sens, il est déjà double, commençant d’un côté en français, de l’autre en italien, s’achevant au milieu par ce qui n’est pas une fin, mais des images de l’artiste au travail. D’autres images sont aussi bien insérées au début, sous une autre forme, celle d’un film gravé sur un CD rom. Dans le journal de bord vous avez ainsi trouvé la carte du trésor, une carte très contemporaine, que vous pouvez déchiffrer à l’aide d’un appareillage technique que par chance vous avez déjà chez vous pour d’autres raisons. Vous pourrez alors creuser à l’endroit indiqué par la carte. Vous découvrirez toujours une autre carte, redevenue blanche : un espace qui n’est pas encore rempli, la toile sur laquelle Anthony Chrétien s’apprête à dessiner, aujourd’hui par exemple. Ce n’était bien sûr qu’une image : le journal de bord est un livre philosophique, la carte le film d’une performance passée, et le trésor, c’est à la fois le journal de bord, la performance enregistrée et la performance à venir, celle que nous ne la connaissons pas encore, ni Anthony Chrétien, ni Raffaele Scolari, ni vous, ni moi. C’était une image de ce que veut dire entrer dans une œuvre, laquelle n’est jamais simplement un trésor appropriable. |
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Or si vous lisez le début de l’ouvrage, que vous ne preniez dans un sens ou dans l’autre, vous verrez justement Raffaele Scolari se demander ce que cela veut dire, entrer dans une œuvre. La question se pose parce qu’Anthony Chrétien lui-même entre dans son œuvre, pose les pieds sur sa toile, ou pose les pieds sur la carte pour la tracer : il doit alors savoir tourner autour de son propre tracé, le contourner sans effacer la poudre du fusain. Il en découle qu’Anthony Chrétien ne peut lui-même entrer dans son œuvre qu’en se tenant sur ses bords, internes et externes. Il en va alors de même pour la réflexion philosophique. Le journal de bord n’est pas qu’une image dans la mesure où ce qui s’écrit à bord doit d’abord se penser au bord, le bord commun du bateau et de l’océan, le bord de l’emplacement du trésor, le bord commun de la philosophie et de l’art, le bord de l’œuvre. C’est également sur ce bord que nous nous tenons, et il ne saurait être question ici d’empiéter lourdement sur le travail de Raffaele Scolari ou sur celui d’Anthony Chrétien. Nous ne pouvons qu’insister sur le fait que le philosophe qui écrit sur l’œuvre ne vise nullement à lui donner des règles, à figer son sens, à prévoir son avenir. Scolari a suffisamment écrit sur l’espace, et suffisamment lu Adorno, pour savoir que la réflexion ne vise pas à épuiser l’art, mais seulement à montrer comment il résiste, tant à la société dont il est issu qu’à la pensée qui tente de le retraduire. |
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Ce que l’on peut saisir, au mieux, par la pensée, c’est justement cette résistance : l’art résiste à la pensée parce qu’il résiste, comme elle, au monde dans lequel nous vivons et qui est avant tout technique. Ainsi nous pouvons mieux comprendre cette rencontre entre l’artiste et le philosophe. Raffaele Scolari a trouvé dans le travail d’Anthony Chrétien une source non simplement d’inspiration, mais de travail, de remise en forme militante de ce qui avait déjà sa propre forme. La force des performances d’Anthony Chrétien se trouve manifestement dans la distance qu’elles ménagent vis-à -vis de la technique tout en en utilisant toutes les ressources. On ne trouve chez lui ni nostalgie d’un stade naturel ou préinstrumental, ni pessimisme ou cynisme concernant l’état actuel de dénaturation de l’humanité. Seulement, des instruments accessibles, micros, caméras, enregistrements vidéo, webcams et site internet, sont mis en œuvre pour maintenir à l’état d’œuvre ce qui leur est irréductible : des formes quasiment organiques tracées au fusain, tracées par une autre forme organique entièrement mise en jeu dans l’œuvre vue ou filmée, à savoir le corps de l’artiste. La technique n’épuise pas le corps à corps de l’artiste avec l’œuvre ; l’artiste peut toujours entrer dans la toile et sortir d’elle mais tout aussi bien entrer dans le champ de la caméra, plus restreint que les dimensions de la toile, et en sortir, il n’est pas emprisonné par ce champ, remarque Scolari. Et pourtant, c’est bien l’entrée dans le champ de la caméra qui conserve et soutient l’œuvre et en garde mémoire, conjurant l’effacement de l’artiste hors du champ |
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et l’effacement de l’œuvre par l’artiste. Cet effacement est imprévisible. Nous ne savons pas ce qu’Anthony Chrétien va dessiner aujourd’hui, et nous ne savons pas plus s’il va effacer ce qu’il va dessiner. Nous ne savons pas s’il restera du trésor qu’il nous invite à creuser avec lui une carte pleine ou une carte vierge. Lui-même ne le sait pas, même si son non-savoir n’est pas le nôtre, même si l’événement de la performance n’est pas une possibilité indéterminée, mais l’avenir d’un style qui pour lui est aussi corporel qu’intellectuel, et qui fait que l’improvisation est à la fois invention et variation. Mais ce que nous savons comme Chrétien, c’est que cette performance a déjà son double dans une bande sonore préenregistrée, et qu’elle sera elle-même dupliquée, reprise sur écran et enregistrée, archivée, si bien qu’elle sera, comme ce livre écrit au moins deux fois, en français et en italien, lisible d’une manière multiple, et en ce sens, sans début ni fin. Ainsi la performance est une expérience, que l’artiste, le philosophe, ou le spectateur, pensent d’une manière différente, mais qui dans toutes les manières de l’approcher diffère de l’expérience commune tout en la rendant compréhensible. Notre expérience quotidienne est gagnée par le double courant de la prévision et de l’archive, comme si le futur était déjà contenu dans le passé, préenregistré ; notre vie échappe alors difficilement à une nécessité qui connecte entre eux tous les événements et tous les espaces : c’est pourquoi on ne peut vraiment, nous dit Raffaele Scolari, entrer ou sortir d’un aéroport, |
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lequel est déjà configuré pour déterminer toutes les entrées et toutes les sorties, par les portes et par le ciel ; nous-mêmes sommes connectés, en permanence, par internet ou par notre téléphone portable. Et nous savons bien que ces connexions peuvent toujours être archivées, même si personne ne pourra jamais lire et déchiffrer tout ce qui s’archive. La fonction de l’art n’est alors pas de lutter simplement contre la nécessité sociale et historique, et sûrement pas de permettre quelque évasion dans un monde imaginaire. Sa fonction est de mettre la connectivité qui définit notre société en tension, de marquer des écarts entres les espaces, entre les niveaux du réel (toile, gestes corporels, musique), de faire de l’espace d’une manière nouvelle, non prévue. Ainsi, les performances d’Anthony Chrétien, parce que l’on ne sait ni ce qu’elles seront ni ce qu’il en restera, donne le vertige heureux d’une archive aussi imprévisible qu’une terre lointaine aperçue du haut du grand mât. C’est ce vertige qui a poussé Scolari à l’écriture, cette autre archivation ; c’est ce vertige, indissociable de la projection en contreplongée sur l’écran de la galerie, que vous éprouverez aussi sans doute dans qq instants, en sachant que ces instants seront encore archivés y compris par vous, pour autant que je puisse m’adresser à votre mémoire future, aux souvenirs que vous n’avez pas encore. |
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Vous partirez sans doute sans trésor monnayable et sans image unifiée de la performance. Mais sans doute avec cette joie dont parle Raffaele Scolari : cette joie d’avoir vu l’œuvre courir tous les dangers, frôler tous les écueils (celui de l’arbitraire, de l’exaltation du sujet maître de la création et de la destruction de son œuvre, de la rhétorique sur le monde contemporain, danger de l’incident technique, etc.) et s’en sortir : tout comme le corps de l’artiste qui appartient à l’œuvre et ne cesse de ressortir d’elle, pour finalement en sortir, l’art n’est pas sauvé, mais il s’en sort, il revient toujours lui-même de sa chasse aux trésors, ramenant au port le sens présent dans chaque image disloquée : Le sens même d’une contre technique, d’une part d’inaliénable et de non mesurable, que l’on pourrait nommer le goût du fusain, aussi évanescent et intemporel que celui des épices. Ce goût vous accompagnera alors peut-être comme une archive corporelle, un journal de bord qui reprendra dans une autre langue celui que trace Anthony Chrétien ou qu’écrit Raffaele Scolari. En d’autres termes, vous aurez été impressionnés, comme je l’ai été. Mon propre journal, celui de mon admiration pour l’artiste et le philosophe, s’interrompt donc ici, tout en se continuant d’une manière imprévisible avec Anthony Chrétien, avec Raffaele Scolari, avec vous. Merci… Jérôme Lèbre. |
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Articoli Articolo pubblicato sulla Regione Ticinoil 24 aprile 2012 di Nicoletta Barazzoni
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ARTICOLI
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La Liberté(quotidien romand)le 24 mai 2012 par Monique Durussel
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